jeudi 6 février 2014

Génération Amère #2 - Où l’on explique pourquoi il est rationnel de s’entraîner aux jeux de hasard

Une institution fiable. Perception de l’université française par un père de famille, en février 2006. En mars, le CPE lançait une rébellion. Mais les motivations des opposants à la réforme ne constitueront pas notre propos. Pendant douze semaines, les étudiants de la faculté de sciences humaines de Nantes ne se sont pas rendus en cours. Certains par choix avec une sincère intention, qu’importe le bien fondé de leurs convictions politiques. Pour une grande majorité d’étudiants, par l‘odeur alléchés d’une perspective d’oisiveté, c’est au gré de la météo et des « tonus » qui font l’apanage des soirées à la fac qu’ils entraient en politique, sur un malentendu. Ils avaient été attirés par les hormones de leurs congénères, desquelles émanait une excitante odeur de dépravation, dans le gymnase où s’était établi le théâtre de Guignol. Et ils se tenaient là, sortant de leur passivité quotidienne, au mépris du désintérêt qu’ils portaient à leurs études. Il se tenaient là, le doigt levé bien haut, le cheveu gras et l’haleine rendue fétide par le dernier joint mêlé à la cyprine du cunnilingus englouti au petit matin avant d’ingurgiter le café du distributeur du bâtiment B. Et le nombre de voix pour la prolongation du blocus de la fac augmentait, de manière significative, gonflé par cette soudaine vocation militante, apparue comme une envie de pisser. Un véritable ready-made politique ou la réinterprétation de l’Urinoir de Duchamp. Le concept de l'art de voter plutôt que la maîtrise de sa technique. Enfin, les autres étudiants, naïfs ou désabusés, ont été contraints de se soumettre aux jeux des votes avec comptage de voix approximatif. Et puis, il y eut l'essoufflement national du mouvement et les résultats d'un certain nombre de semestres validés, envoyés dans des pochettes-surprise. A quel moment a-t-on décrété que la démocratie ne méritait pas davantage qu'une évaluation quantitative des voix ? Mais comment évalue-t-on leur qualité, sur quels critères ? Le caractère aléatoire de la démocratie est-il, finalement, le plus rationnel ? Est-ce qu'un candidat au permis de conduire qui franchit une ligne continue, passe un rond-point en troisième et valide l'examen quand un autre échoue sur un guidage trop tardif de l'inspecteur est, rationnellement, plus apte à conduire ? Un étudiant après quatre ans d'études dans un domaine de compétences, obtient un master dans un autre domaine d'expertise validé par une seule dernière année de spécialisation, sanctionnée par un mémoire. Un second étudiant se prépare pendant cinq ans au même domaine d'expertise mais échoue dans l'épreuve du mémoire. Le premier étudiant est-il pour autant plus à même d'évoluer dans ce secteur d'expertise que le second ? Qu'est-ce qui rend légitime que le caractère aléatoire d'un examen officiel prenne l'ascendant sur le bon sens ? Comment faire face à ce que Simon a nommé la "rationalité limitée", le conditionnement de la réflexion de l'individu par son environnement menant à l'acceptation d'une situation satisfaisante et non optimale ? Peut-on trouver un salut dans l'enseignement des Stoïciens sur l'acceptation de l'environnement que l'Homme ne peut maîtriser afin de plus facilement l'appréhender ? Une perception sensiblement proche de la pensée bouddhiste où il s'agit d'accepter l'état conditionné de l'Homme, état de souffrance, afin d'entrevoir sa possible délivrance puis son élévation. La clairvoyance préconisée par le grand Gide n'y est pas étrangère non plus. Voir clair en soi, c'est aussi accepter d'échapper à l'illusion réaliste. Il ne peut pas exister qu'un seul point de vue. Il est dit que pour une même copie, plusieurs correcteurs peuvent attribuer une note allant de 8 à 16 sur 20. Il y a un caractère aléatoire dans un jugement rationnel. C'est la rationalité limitée. On ne peut pas être totalement rationnel parce que la réalité est multiple. Gide tentait d'écrire un roman parfait mais jamais il ne parviendra à mettre au point son roman "pur", confronté à l'insoluble problème de satisfaire tous les points de vue. La maîtrise des perceptions qui constituent notre environnement étant illusoire. Gide avait pris conscience qu'il se trouvait dans "l'illusion réaliste", celle d'un seul point de vue, d'une réalité unique, d'une rationalité limitée, en termes de capacités cognitives et d'information disponible. 

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